Démocratie alimentaire et droit à l’alimentation

Le fait que nous évoluons dans des environnements alimentaires contraints qui ne facilitent pas les choix alimentaires durables, est devenu de plus en plus visible et problématique ces dernières années avec les successions des crises et alors que la pression économique sur les budgets se fait de plus en plus forte.

Ces environnements alimentaires sont façonnés par un très petit nombre d’acteurs : les institutions publiques et surtout les opérateurs économiques majeurs de la chaîne d’approvisionnement alimentaire. Ils ont un poids prépondérant sur ce qui est produit et proposé à la consommation aujourd’hui. Cependant leurs processus de décision incluent très rarement les citoyens et habitants, et ne prennent pas suffisamment en compte les coûts sociétaux de ces systèmes alimentaires (sanitaires, environnementaux, sociaux…).

Par exemple, depuis près de quarante ans, l’aide alimentaire redistribue aux plus démunis des denrées issues de filières industrialisées. Si cette aide constitue une réponse d’urgence nécessaire, elle peine à répondre à la diversité de besoins des personnes qui y ont recours et à leur fournir une alimentation digne et saine.

Nous faisons l’hypothèse que la mobilisation de toutes les parties prenantes, la co-construction et la co-responsabilisation à l’échelle des territoires, l’inclusion de tous et toutes constituent des leviers d’action puissants pour permettre des transformations pérennes et significatives de nos systèmes agricoles et alimentaires. Cet aspect souvent peu considéré des processus de transition s’appuie sur la démocratie participative, l’éducation populaire, l’intelligence collective, l’autonomisation et le renforcement du pouvoir d’agir des personnes pour permettre la réappropriation des systèmes agricoles et alimentaires comme biens communs par chacune et chacun. L’ouverture des processus de décision, l’évolution des formes de gouvernance et de coopération et le renforcement de la capacité de tous à agir, y compris par l’appropriation de leviers économiques, dans la réorientation des systèmes alimentaires sont des enjeux majeurs pour mettre en œuvre des réponses à la hauteur des enjeux, au plus près des attentes et intérêts des populations.

Ces démarches de démocratie alimentaire doivent absolument intégrer les personnes les plus éloignées des instances de décision, en particulier les populations marginalisées ou en situation de précarité.

À travers le soutien à une grande diversité d’initiatives depuis plus de dix ans, nous avons pu observer une montée en puissance des approches mobilisant le « droit à l’alimentation », la « démocratie alimentaire » ou la « justice alimentaire ». Ces terminologies interrogent et sont mouvantes : pour la Fondation Daniel et Nina Carasso, la démocratie alimentaire signifie que chacune et chacun des citoyens a la capacité de choisir les systèmes alimentaires auxquels il participe et d’agir pour les transformer. Nous insistons sur la nécessité d’avoir une attention particulière envers les personnes précaires et marginalisées.

Lors des 4e Rencontres de l’alimentation durable, nous avons fait le choix d’investir le thème chapeau de « démocratie alimentaire », en explorant plusieurs enjeux :
Quels sont les enjeux de la démocratie alimentaire et du droit à l’alimentation ? Quels modèles économiques sont possibles pour les nouvelles formes d’accès à l’alimentation des personnes précaires plus dignes et durables ? A-t-on le temps de plus de démocratie participative, même à l’échelle d’un projet, face aux urgences sociales et environnementales ? Autant de questions qui sont au centre des discussions de cet axe à l’occasion de ces 4e Rencontres.

Retrouver le bilan des 4e Rencontres de l’alimentation durable >

Que fait la Fondation Daniel et Nina Carasso en matière de démocratie alimentaire et de justice sociale ?

Nous nous engageons de toutes les manières possibles en faveur de la démocratie alimentaire et de la justice sociale : nous soutenons aussi bien des expérimentations locales que la recherche, la capitalisation, l’essaimage, la structuration de réseaux, et sommes engagés dans les dialogues multi-acteurs au niveau français en étant membre du Comité interministériel de coordination de la lutte contre la précarité alimentaire, au niveau européen sur le suivi de la politique européenne Farm to Fork via le réseau philanthropique Européen EFSAF de Philea et au niveau international dans les discussions du réseau philanthropique de la Global Alliance for the Future of Food.

Exemples de projets soutenus :

Territoires à vivreS : Face à l’urgence sociale devenue structurelle, mais aussi devant la paupérisation d’une partie du monde agricole et les bouleversements écologiques, le collectif Territoires à vivreS, réunissant 5 grandes organisations nationales, s’est engagé dans la transformation de l’aide alimentaire d’urgence afin d’assurer un accès plus égalitaire à de la nourriture durable, locavore et de bonne qualité. Entre villes et campagnes autour de Lyon, Aix-Marseille, Montpellier et Toulouse, les complémentarités entre associations s’organisent pour transformer le système alimentaire local vers plus de durabilité, une meilleure inclusion de l’ensemble des habitantes, et une dynamique démocratique permettant de se poser collectivement la question de notre alimentation et de prendre les décisions en conséquence. Objectifs : démocratiser les systèmes alimentaires en associant les personnes concernées et créer avec elles et les organisations agricoles et de l’Economie Sociale et Solidaire, de nouveaux dispositifs économiques pour des filières bio solidaires.

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Sécurité sociale de l’alimentation : analyse d’initiatives locales de démocratie alimentaire innovantes / INGÉNIEURS SANS FRONTIÈRES (ISF) – AGRISTA
Face à la multiplication des initiatives locales expérimentant des processus de démocratie alimentaire, inspirées du travail sur la Sécurité sociale de l’alimentation, ISF analyse et capitalise sur certaines de ces initiatives et documente leurs modèles de fonctionnement et les conditions de réussite de ces expérimentations. ISF étudie comment ces initiatives peuvent localement répondre à des enjeux de précarité alimentaire et d’ancrage des projets de transition agroécologique vers plus de durabilité des systèmes alimentaires, et nationalement enrichir l’idée d’une démocratie alimentaire.

› En savoir plus sur Agrista

Tiers lieux nourriciers : une réappropriation citoyenne ? / ASSOCIATION NATIONALE DES TIERS LIEUX
De plus en plus de tiers-lieux dits « nourriciers » bousculent les systèmes alimentaires en mobilisant les citoyens. L’Association nationale des tiers-lieux, la Coopérative Tiers-Lieux, Fab’Lim et Réseau Cocagne étudient l’émergence de ce mouvement et renforcent les échanges de pratiques. Ils souhaitent aujourd’hui aller plus loin afin de mieux comprendre l’organisation, le fonctionnement et la contribution des tiers-lieux au renforcement du pouvoir d’agir citoyen. Le projet vise à produire des outils pour les porteurs de projets et formuler des propositions afin de lever les freins à leur développement.

› Découvrez l’Association nationale des tiers-lieux

L’expérience des épiceries participatives dans le cadre du Projet Alimentaire Territorial de la Plaine aux Plateaux / TERRE ET CITÉ
Dans l’Ouest de la région parisienne, Terre et Cité s’associe à Monépi pour analyser les impacts et les enjeux rencontrés par les épiceries participatives (épis) au sein du système alimentaire local. Créés en 2015 sur le Plateau de Saclay, ces initiatives démocratiques donnent aujourd’hui accès à des produits locaux et durables dans une centaine de lieux en France grâce à des outils de gestion mutualisés et participatifs. Ce projet s’articule entre une étude des enjeux alimentaires et démocratiques des épis, des événements pour faciliter leur mise en réseau à différentes échelles et la réalisation de guides opérationnels. L’étude porte une attention particulière aux adaptations des épis à différents contextes (étudiant, intergénérationnel, précarité sociale…).

› En savoir plus sur Terre et Cité

Nous soutenons par ailleurs des initiatives locales portant de nouvelles formes d’accès à l’alimentation pour les personnes en situation de précarité et leurs mises en réseau et déploiement national.

VRAC – des groupements d’achats bio équitables dans les quartiers prioritaires de la politique des villes
https://vrac-asso.org/

Les expérimentations de Caisses alimentaires locales de Montpellier et du Lubéron (Le Maquis)
https://securite-sociale-alimentation.org/initiative/caisse-commune-de-lalimentation-montpellier/
https://securite-sociale-alimentation.org/initiative/au-maquis/

Le réseau des épiceries sociales et solidaires UGESS et par exemple leur membre EPISOL

Mesure d’impacts d’Episol : rendre visible pour renforcer le dialogue avec les partenaires et financeurs. L’épicerie sociale et solidaire ouverte à toutes et tous Episol, située à Grenoble, combine épiceries fixe et mobile, un chantier d’insertion, un dispositif de paniers solidaires, ainsi qu’un volet antigaspi (récupération d’invendus auprès des supermarchés locaux et du marché d’intérêt national de Grenoble pour redistribution et valorisation). Membre actif du réseau Ugess, ce projet est particulièrement intéressant pour favoriser un accès à une alimentation de qualité pour toutes et tous. Mais comment mieux valoriser ces réalisations ? En 2022, Episol a entamé une analyse des changements générés par les actions de l’épicerie auprès des personnes impliquées et/ou impactées par la mise en œuvre du projet : un meilleur accès à l’alimentation en quantité et en qualité, la lutte contre l’isolement, le vivre ensemble, la qualité de l’accueil, la lutte contre le chômage et l’intégration sociale et professionnelle des salariés en insertion, l’implication et la participation à la dynamique territoriale ou encore l’amélioration de l’impact environnemental.
« L’évaluation des impacts sociaux nous permet de valider la cohérence du projet associatif, de vérifier qu’il répond bien aux besoins et que l’action possède un véritable impact sur les bénéficiaires prioritaires. C’est aussi un outil qui parle aux financeurs et qui paraît indispensable pour valider la pertinence de leur portage. »
Julie Baume-Gualino – directrice Episol

 

3 questions à Mathilde Douillet, Responsable de l’axe Alimentation Durable · Fondation Daniel et Nina Carasso

Interview réalisée en juin 2023

Le sujet de la démocratie alimentaire est au cœur de la 4e édition des Rencontres de l’alimentation durable. Pourquoi avoir mis ce sujet au programme ?

Le fait que nous évoluons dans des environnements alimentaires contraints qui ne facilitent pas les choix alimentaires durables, est devenu de plus en plus visible et problématique ces dernières années. Avec les successions de crises, la pression économique sur les budgets se fait de plus en plus forte. Il est intolérable que des millions de personnes n’aient pas accès à une alimentation digne et saine et aient comme seul recours une aide alimentaire qui peine à répondre à la diversité de leurs besoins. Plus largement, de trop nombreux citoyens et citoyennes, et en particulier les personnes précaires et marginalisées, sont dépossédées du choix des systèmes alimentaires auxquels elles participent, et du pouvoir d’agir pour les transformer.

Nous faisons l’hypothèse que la mobilisation de toutes les parties prenantes, la co-construction et la co-responsabilisation, l’inclusion de tous et toutes constituent des leviers d’action puissants pour permettre des transformations pérennes et significatives de nos systèmes agricoles et alimentaires. Depuis plus de dix ans, nous avons observé une montée en puissance d’initiatives mobilisant le « droit à l’alimentation », la « démocratie alimentaire » ou la « justice alimentaire ». Ces terminologies interrogent, et nos partenaires sont très demandeurs d’espaces d’ échanges de pratiques. C’est pourquoi nous avons fait le choix pour ces Rencontres du thème chapeau de « démocratie alimentaire ».

Quels sont les actualités ou sujets qui vous mobilisent particulièrement ?

Nous suivons de près les résultats de projets expérimentaux dans les territoires comme ceux d’expérimentations locales de la sécurité sociale de l’alimentation comme dans le Lubéron, à Montpellier ou ailleurs en France, et plus généralement toutes les expérimentations qui montrent aujourd’hui que d’autres formes d’accès à une alimentation de qualité sont possibles, et surtout souhaitables.

Cependant nous avons conscience que les initiatives organisant un accès aux personnes à faible pouvoir d’achat à une alimentation de qualité environnementale sanitaire et sociale, et rémunérant mieux ses producteurs ne peuvent être rentables du strict point de vue économique. De fait, elles peinent à assurer une autonomie de leurs modèles socio-économiques sans soutien externe. Or avec la situation sociale qui se dégrade, avec une difficulté d’augmenter les soutiens publics et privés au-delà des expérimentations, tous les acteurs s’interrogent sur la pérennisation de ces initiatives et sur les leviers qui leur permettront de l’assurer. C’est pourquoi nous avons travaillé ces derniers mois à la réalisation d’une étude s’interrogeant sur les modèles socio-économiques des nouvelles formes d’accès à l’alimentation de qualité pour toutes et tous dont les résultats seront notamment présentés lors des Rencontres.

Enfin, nous sommes très attentifs aux suites des travaux du Cocolupa – Comité national de coordination de la lutte contre la précarité alimentaire – au sein duquel la Fondation est impliquée. Plus généralement, nous restons en veille sur l’évolution des politiques publiques de l’alimentation, en particulier le fonds “Mieux manger pour tous” qui a été annoncé en mai 2023 : des sujets qui seront pour sûr largement abordés également le 10 octobre !

En quoi ces sujets sont-ils éminemment connectés avec les questions d’agroécologie et de territoires ?

Comme le rappelle le 6ème rapport du GIEC, la transition écologique ne peut se faire sans justice sociale. Il est alors plus que nécessaire d’inclure l’ensemble de la population dans les prises de décisions, en premier lieu les plus précaires et marginalisés, et de saisir l’opportunité de faire de la transition écologique une lutte contre les inégalités.

La démocratie alimentaire place les citoyens et citoyennes au cœur des décisions sur les questions alimentaires et donc agricoles. Les initiatives que nous connaissons dessinent de nouvelles voies d’accès à une alimentation saine, ouvertes à toutes et tous, dignes et solidaires. Elles démontrent qu’avec les moyens et la connaissance de cause l’ensemble des citoyens et citoyennes ont à cœur la juste rémunération des agriculteurs et la régénération de l’environnement. L’échelle des bassins de vie est propice à l’articulation des rôles de tous les acteurs de territoire dont les citoyens. Ces sujets sont donc étroitement connectés. Les initiatives de démocratie alimentaire proposent un nouveau contrat social dans lequel l’alimentation permet de construire un « mieux vivre » ensemble.

 

Démocratie alimentaire, précarité alimentaire, droit à l’alimentation… pour aller plus loin

Notre axe sur la démocratie alimentaire en faveur de la transition agricole et alimentaire

La démocratie alimentaire et les sujets qu’elle touche comme la précarité alimentaire ou le droit à une alimentation saine et durable font partie de l’un de nos 3 axes majeurs de ces 4e Rencontres. Nous y abordons également 2 autres thématiques, dans le même objectif d’œuvrer pour une transition des systèmes alimentaires : l’agroécologie, et les territoires. 

Vous souhaitez en savoir plus sur les Rencontres ? Lisez la présentation des Rencontres de l’alimentation durable. et découvrez les organisateurs et partenaires de ces rencontres.

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Découvrez :

> le bilan de la 4e édition des Rencontres de l’alimentation durable (2023)

> le replay des plénières de l’événement du 10 octobre 2023

> l’édito de la Fondation Daniel et Nina Carasso, par Marine Nahmias et Benoît Mounier, qui posent le contexte particulier de la 4e édition

le programme

les intervenants

Retrouvez également les bilans des précédentes Rencontres qui réunissent tous les deux ans depuis 2016 la communauté des acteurs de l’alimentation durable.